Garantie décennale et impropriété à la destination de l'ouvrage - partie 1 : un peu d'histoire

Dans le domaine des garanties légales dues par les constructeurs, trois régimes se sont succédés dans le temps, en France.

  • Celui du Code civil d’origine de 1804 qui ne retenait l’application de la garantie décennale que lorsque "l’édifice périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice de sol ….." (C. CIV, art. 1792). Garantie dont étaient redevables les architectes et les entrepreneurs, lesquels n’étaient "déchargés de la garantie des gros ouvrages qu’ils ont faits ou dirigés" qu’après dix ans (C. CIV, art. 2270)

  • Celui issu de la loi du 3 janvier 1967 consacré à la vente d’immeuble à construire qui, à cette occasion, a modifié les articles 1792 et 2270 du Code civil d’origine.

    Le premier article remanié ne faisant plus référence à la nature du marché et élargissant le cercle des personnes concernées, ajoutant aux architectes et entrepreneurs déjà nommés les «autres personnes liées au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage» et le second instituant, dans sa rédaction issue de cette loi, une garantie biennale des mêmes ouvrages.

  • Celui enfin issu de la loi du 4 Janvier 1978, dite loi Spinetta, dont l’économie est radicalement différente des régimes précédents puisque le régime de garantie n’est plus axé sur la nature ou l’importance des ouvrages (gros ouvrages ressortissant du domaine de la garantie décennale et menus ouvrages relevant de la garantie biennale) mais sur une distinction plus subtile et fonctionnelle opposant les ouvrages relevant de la "fonction construction" à ceux relevant de la "fonction équipement" sans pour autant que cette opposition constitue la ligne de partage entre garantie décennale et garantie biennale, puisque aussi bien les éléments d’équipement ne relèvent de la garantie biennale de bon fonctionnement (C. CIV., Art. 1792-3) que s’ils ne sont pas indissociables au sens de la loi, ceux qui le sont relevant alors de la garantie décennale lorsque leur solidité est atteinte (C.CIV., art. 1792-2), tandis que les premiers ci avant envisagés peuvent donner lieu également à l’application de la garantie décennale si leur "dysfonctionnement", ou encore les désordres qui les affectent, ont pour conséquence de rendre l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (C.CIV., Art. 1792).

    Il résulte donc du régime Spinetta, toujours en vigueur à ce jour, que la garantie décennale a vocation à s’appliquer dans trois séries d’hypothèse de dommages matériels à l’ouvrage construit :

    - Lorsque le dommage compromet la solidité de l’ouvrage (C.CIV., Art. 1792)
    - Lorsque le dommage affectant l’un des éléments constitutifs de l’ouvrage ou l’un de ses éléments d’équipement le rend impropre à sa destination (C.CIV., Art. 1792).
    - Enfin lorsque le dommage affecte la solidité d’un élément d’équipement indissociable des ouvrages de viabilité, de fondation, de clos et de couvert (C.CIV., Art. 1792-2).

  • En conséquence, la garantie décennale est applicable lorsque l’on est en présence de dommages d’une certaine gravité, abstraction faite de leurs causes et origines et alors même que lesdites causes et origines des dommages ne seraient pas connues, l’indétermination des causes et origines des dommages étant indifférente à l’application de la garantie décennale (CASS. 3ème CIV. 1er Dec 1999 Bull CIV III n°230).

    Enfin, il convient de souligner que le critère d’impropriété à destination doit être apprécié par rapport à l’ensemble de l’ouvrage (CASS. 3ème CIV 7 Dec 1988 Bull. CIV III n° 174).et qu’il doit être apprécié au regard de la destination convenue à l’origine de la construction (CASS. 3ème CIV. 11 Fev 1998) tout particulièrement lorsque l’ouvrage en question a une vocation professionnelle.

    Force est de constater que si l’atteinte à la solidité de l’ouvrage apparaît comme un critère objectif, et d’application stricte, il n’en est pas forcément de même de l’impropriété à la destination de l’ouvrage.

    Le législateur de 1978 l’a choisi de préférence à deux autres "l’interdiction absolue d’utilisation", critère considéré comme peu protecteur des intérêts des usagers, et celui "d’interdiction d’utilisation dans des conditions normales d’habitabilité", critère qui est apparu comme trop restrictif.

    Pour autant l’adoption de ce critère a fait l’objet de critiques, de la part notamment du professeur MALINVAUD, qui a pu dire, à l’occasion d’un colloque organisé en 1988, par la SMABTP, sur le régime SPINETTA : « Elle est par sa nature même imprécise … Elle est fonction, pourrait-on presque dire, de l’humeur du juge, c'est-à-dire de sa réaction en tant que consommateur de logement, elle est fonction de l’état des mœurs qui d’évidence évoluent…. »

    Il est donc intéressant, 25 ans après l’adoption de ce critère par la loi, pour mettre en jeu la responsabilité décennale des constructeurs, d’essayer d’en cerner l’interprétation jurisprudentielle qui en a été faite, en fonction de l’évolution des moeurs.

    On constate que la Cour de cassation, si elle ne s’est pas substituée aux juges de fond pour décider de l’influence des dommages sur l’impropriété à la destination de l’ouvrage, a exercé un contrôle et censuré systématiquement les juges, lorsque pour appliquer la garantie décennale, ils se bornaient à relever les malfaçons des ouvrages, sans prendre le soin de préciser en quoi ces malfaçons revêtaient la gravité requise.

    A la lecture des décisions rendues, on peut distinguer deux grandes catégories d’impropriété à la destination de l’ouvrage :

    Celle qui se réfère à sa dangerosité et celle qui se réfère à son inaptitude, sans oublier que la Cour de cassation a par ailleurs, eu à rappeler que c’est l’ouvrage dans son entier qui doit être rendu impropre à sa destination et non la partie d’ouvrage ou l’élément d’équipement atteint de malfaçons, comme certains tribunaux avaient tendance à le juger.

    SUITE PARTIE 2