L’analyse des décisions de justice retenant la responsabilité décennale des constructeurs, en application du critère de l’impropriété à la destination de l’ouvrage permet de conclure à une conception extensive du critère qui joue en faveur de la protection maximale des maîtres d’ouvrage.
Le vice de construction ou d’équipement doit, en pratique, revêtir un certain degré de gravité pour pouvoir entraîner une impropriété à destination de l’ouvrage (ne serait-ce que pour le distinguer du désordre purement esthétique, ou du dommage intermédiaire) mais ce degré de gravité est sans commune mesure avec l’importance de la gravité exigée pour l’atteinte à la solidité, laquelle doit mettre l’ouvrage en péril.
On passe, en tout état de cause, d’un critère matériel objectif (la solidité) à un critère fonctionnel (l’impropriété) que la Cour de cassation laisse au pouvoir souverain des juges de fond.
Autant dire que le critère de l’impropriété à destination de l’ouvrage a tendance à être retenu très largement….
En plus, nous avons pu constater à travers l’étude de la jurisprudence qu’à ce jour, l’impropriété à la destination de l’ouvrage peut être retenue, même en l’absence de dommage matériel à l’ouvrage, dans un certain nombre d’hypothèses :
Impropriété-dangerosité, non respect des règles d’urbanisme, défaut d’implantation, non obtention des économies d’énergie attendues …..
Ce critère d’impropriété à la destination, par essence subjectif, est très protecteur des droits des maîtres d’ouvrage et acquéreurs et sa mise en œuvre est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Sa relative imprécision ne fait pas l’affaire des constructeurs et des assureurs qui ont, de ce fait, du mal à cerner l’étendue de la garantie décennale et donc à apprécier correctement le risque à assurer.
C’est pourquoi, dans le cadre des travaux menés pour améliorer le système d’assurance construction, le groupe MERCADAL a suggéré qu’une définition légale de l’impropriété à la destination soit rédigée (Rapport Mercadal Février 2006).
Les représentants de la maîtrise d’œuvre ont, quant à eux, plaidé pour une suppression pure et simple de ce critère (colloque SYNTEC Septembre 2006), pour ne garder que celui de l’atteinte à la solidité de l’ouvrage, considéré comme plus objectif et plus stricte.
Comme il y a peu de chance, dans un avenir proche, de voir limitée par la loi l’application de la responsabilité décennale au seul critère de l’atteinte à la solidité de l’ouvrage, car cela aurait pour conséquence de restreindre fortement le champ d’application de la garantie décennale et de diminuer ainsi la protection dont bénéficient les maîtres d’ouvrage français. Il nous faut accepter que soit laissée une nécessaire marge d’appréciation aux hommes de l’art et aux juges, tant les situations concrètes sont diverses en ce domaine.