Les désordres qui affectent l'ouvrage après réception peuvent être dus non à une faute des constructeurs mais à une défectuosité du produit mis en œuvre.
Selon la nature du produit livré, le fabricant peut voir sa responsabilité recherchée sur le vice caché du matériau (article 1646 du Code civil) au titre de l'action à bref délai ou sur le fondement de la responsabilité décennale. La loi de 1978 a en effet prévu que le fabricant pouvait être soumis à responsabilité décennale, non en l'assimilant en tant que tel à un locateur d'ouvrage mais en créant, par l'introduction de l'article 1792-4, une notion floue de "fabricant d'éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire" (EPERS). Le législateur n'a pas entendu faire peser sur l'ensemble des fabricants de matériaux une présomption de responsabilité mais simplement y soumettre ceux dont les procédés, aptes à être intégrés en l'état à la construction, sont à eux seuls générateurs de risque, afin de tenir compte de l'importante évolution de la filière industrielle dans le domaine de la construction. La difficulté posée par la rédaction de l'article 1792-4 tient à la notion d'éléments, c'est-à-dire du composant fabriqué pour lequel le législateur n'a prévu aucune définition légale. Le pouvoir réglementaire a donc, par une circulaire du 21 janvier 1981 dite "circulaire d'Ornano" introduit, en partant du texte de la loi, quatre critères cumulatifs permettant d'identifier un EPERS qui sont : 1. le déplacement d'une partie de la conception ; incorporée au produit, elle est retranchée de la mission de conception ; 2. la prédétermination en vue d'une finalité spécifique d'utilisation ; 3. la satisfaction en état de service à des exigences précises et déterminées à l'avance ; 4. la capacité du produit à être mis en œuvre sans modification. Cette circulaire n'a pas suffi à régler les difficultés mais, a permis de mieux cerner les conditions nécessaires à la qualification d'EPERS qui tient à : - la nature de l'élément (conçu et fabriqué pour une utilisation unique et spécifique) ; - ses modalités de mise en œuvre (pose conforme aux prescriptions du fabricant sans modification de l'élément par le metteur en oeuvre). Aussi il est revenu tant au bureau central de tarification (BCT) qu'à la jurisprudence, de tenter de trancher la question. |
Le BCT a pour rôle de se prononcer sur le domaine d'application de l'assurance obligatoire en cas de refus de souscription de la part des assureurs.
Pour se déterminer, le BCT s'appuie sur les quatre critères de la circulaire en privilégiant néanmoins l'importance des adaptations et l'étendue de l'intervention de l'entreprise sur place. C'est ainsi que le BCT a admis en fonction de ce critère dans la catégorie des EPERS : - les maisons en kit ; - les cellules préfabriquées ; - les menuiseries PVC et aluminium. Par contre, le BCT a refusé la qualification d'EPERS à : - du béton prêt à l'emploi au motif qu'il n'existait pas de déplacement de la conception ; - des tuiles, qui n'étaient pas destinées à un usage exclusif, précis et déterminé à l'avance… Mais les décisions du BCT n'ayant pas valeur juridictionnelle, il revenait donc aux tribunaux de se prononcer. |
Si les décisions des juges du fond sont contradictoires et peu significatives, l'étude de la jurisprudence de la Cour de cassation bien que limitée démontre une volonté d'appliquer strictement le texte de loi en refusant notamment d'admettre la qualification d'EPERS à tous les matériaux indifférenciés, comme les tuiles, le béton prêt à l'emploi… C'est par un arrêt du 20 janvier 1993 que la Cour retient, pour la première fois, la qualification d'EPERS pour une pompe à chaleur mise en œuvre conformément aux règles édictées par le fabricant. Un deuxième arrêt retient cette même qualification seulement quatre ans plus tard, pour un plancher chauffant, en raison de l'absence de modification dans la mise en œuvre (Cass.3ème civ. 25/06/1997). Plus récemment un arrêt de la Cour de cassation du 12/06/2002 a retenu la qualification d'EPERS pour des panneaux isolants équipant un poulailler industriel, dont l'objet était de présenter une protection renforcée contre les rongeurs, en estimant que "les panneaux ont été conçus pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l'avance et mis en œuvre sans modification, conformément aux règles édictées par le fabricant, les découpes auxquelles l'entrepreneur a procédé étant de simples ajustements". En retenant que des découpes de dimensionnement constituent de simples ajustements, la Cour de cassation semblait, donc, infléchir sa position relative au critère législatif de mise en œuvre sans modification. Cependant, dans un arrêt encore plus récent, du 22/09/2004, la Cour de cassation a refusé la qualification d'EPERS à des panneaux isothermes, estimant que ces panneaux étaient découpés sur le chantier afin d'y insérer des châssis d'éclairage et d'aération, des portes, des fenêtres et nécessitaient, de ce fait, des modifications lors de leur mise en œuvre, ne remplissant ainsi pas l'un des critères des EPERS. En revanche, le Conseil d'Etat vient d'annuler une décision du BCT qui n'avait pas retenu comme EPERS des panneaux isolants, au motif que leur mise en œuvre nécessitait la pose de joints et l'adaptation dimensionnelle des modules. Or, ces adaptations ont été considérées comme de "simples ajustements" par le Conseil d'Etat qui a, donc, qualifié ces panneaux d'EPERS. La frontière entre "modifications" et "simples ajustements" paraissant ténue et sujette à interprétations, le critère reste encore à affiner ! En tout état de cause, l'examen de la jurisprudence démontre la faible utilisation de cet article 1792-4 qui avait pourtant pour but de moraliser le secteur de la construction et l'innovation en terme de produit. Ce peu de succès tient certainement à la réticence des maîtres d'ouvrage qui doivent rapporter la preuve non seulement de : - la qualification d'EPERS - mais aussi de la mise en œuvre sans modification de la part de l'entrepreneur. La mise en cause de l'entrepreneur, soumis à présomption de responsabilité, reste donc la voie la plus aisée pour les maîtres de l'ouvrage qui préfèrent laisser aux locateurs d'ouvrage la charge de rechercher la responsabilité du fabricant sur la base du droit commun de la vente. |